Qui ne rêve pas de passer son temps à voyager ? Si certains en ont fait un loisir, d’autres en font leur métier. Les journalistes voyage ne sont plus les seuls à détenir l’apanage de l’évasion. Les blogueurs partagent eux aussi les récits de leurs aventures sur une sorte de guide touristique 2.0 qui crée une certaine proximité avec les internautes.
Journaliste voyage, un métier qui fait rêver ?
Partir en vacances et faire bronzette ? Hors de question pour Aliette de Crozet, journaliste de tourisme de renom qui travaille sur des titres aussi divers que l’Obs, l’Express, Gala ou encore Madame Figaro:
«C’est un métier fatigant, qui demande beaucoup de temps.»
La journaliste et auteure de livres passe la moitié du mois à voyager. Un métier passionnant mais éprouvant, à tel point que Solène journaliste et blogueuse sous le nom de Solcito confie avoir dû faire une pause après quatre ans de rythme effréné : « à cette époque, je pouvais faire 2 voire 3 voyages par mois, je passais plus de temps à l’autre bout du monde qu’à Paris. » déclare-t-elle dans un podcast.
La presse voyage reste un milieu difficile d’accès, comme la presse en général. Les plus passionnés et persévérants doivent « créer leur poste » pour se faire une place. Une autre option s’offre aux voyageurs : partir et financer leur voyage pour proposer du contenu à un journal.
Voyager via Instagram
Les places dans le secteur très prisé du journalisme se faisant rares, le phénomène des influenceurs dérange la presse institutionnelle. Les blogueurs sont à l’affût de toutes les nouvelles tendances voyages et bâtissent une communauté solide sur les réseaux sociaux. Le blogueur professionnel doit aujourd’hui être un véritable couteau suisse : écriture, photo, vidéo, graphisme, design web… Mais pour certains journalistes, les blogueurs ne fournissent pas la même quantité de travail qu’eux. Aliette de Crozet souligne un écart générationnel et un manque de curiosité et d’authenticité chez les influenceurs. Les nouveaux formats tels qu’Instagram séduisent le jeune public. Julien Vitry, rédacteur en chef de Lonely Planet Magazine estime que :
« La grande force d’Instagram, c’est qu’il n’y a rien de mieux que des images pour donner envie d’aller quelque part ».
Les photos sont travaillées au millimètre près pour plaire à la majorité mais ne finissent-elles pas par toutes se ressembler ? Les blogueurs adoptent souvent les mêmes mises en scène calibrées.
Le développement des blogs dérange le monde du journalisme traditionnel. « Le vrai débat pour moi porte sur l’ubérisation de l’économie. » explique Julien Vitry. En effet, alors que le métier de journaliste est difficile d’accès, créer un blog est assez simple. Mais la pérennité de ce métier passe aussi par la création de contenu de grande qualité pour espérer générer des revenus.
Les blogueurs, de meilleurs communicants ?
Partenariats, voyages sponsorisés… Les offices de tourisme et tours-opérateurs ont vite compris le potentiel de la blogosphère. Les blogueurs voyage sont dans le viseur des professionnels du tourisme qui tentent de les attirer pour promouvoir leur territoire. Pourquoi cet intérêt pour ces voyageurs 2.0 ?
D’abord pour leur communauté de lecteurs, qu’ils entretiennent savamment. Autre avantage, l’impact sur les réseaux sociaux est plus facilement quantifiable. « On a beaucoup plus de visibilité sur les retombées grâce aux réseaux sociaux, contrairement à la presse » explique Cécile Greth, responsable de l’agence Call Me Back, spécialisée dans le tourisme. En 2017, l’Office de Tourisme des Bahamas a fait appel pour la seconde fois à l’agence pour axer sa communication autour de l’influence digitale avec son dispositif « Bahamazing experience ». Cécile confie avoir envoyé une dizaine de blogueurs sur les 16 îles de l’archipel des Bahamas. Les internautes pouvaient découvrir les aventures des influenceurs sur Dailymotion. Grâce à cet événement, l’Office de Tourisme a vu les demandes de devis doubler pour les Bahamas.
Lorsqu’on lui demande si les agences traitent différemment blogueurs et journalistes, Alexandra Besson du blog Itinera-Magica explique;
«Les agences et destinations traitent différemment les deux partis. Un journaliste est souvent beaucoup mieux reçu qu’un blogueur influent et ce, même s’il vient d’un petit canard peu connu. Certains professionnels du tourisme ont encore du mal à intégrer cette mutation et à comprendre l’intérêt que présentent les blogueurs. »
Ainsi, les présentations presse et autres événements s’organisent souvent en deux temps. « On organise des voyages de presse différents. On traite les journalistes avec plus de respect alors que nous essayons de cadrer un peu plus les blogueurs » avoue Cécile Greth.
Complémentaires ou concurrents ?
On observe une certaine remise en question du métier. En témoigne la volonté des journaux classiques de participer au phénomène. Depuis 2015, le magazine As You Like (renommé en 2017 Ohmymag) fait la part belle aux contenus des blogs. Le magazine Géo crée sa plateforme Geo Blogs, tout comme Le Monde.
Aujourd’hui, de plus en plus de rédacteurs se mettent à tenir un blog pour laisser place à leur créativité et se sentir plus proche de leur lectorat. C’est notamment le cas de Alexandra Besson, qui a fondé son « itinéraire magique » Itinera-magica.
« Je possède la double casquette journaliste et blogueuse. Il est déjà arrivé que des destinations m’ayant invitée en tant que journaliste préfèrent au final mon article de blog à mon article de presse car il est plus détaillé, avec plus de photos, plus facilement partageable sur les réseaux sociaux. La formule que je préfère c’est combiner les deux : un article pour Version Femina, général, informatif, concis et plusieurs articles de blogs plus subjectifs et exhaustifs, avec beaucoup de photos. »
Plutôt que des concurrents, journalistes et blogueurs ne seraient-ils pas complémentaires ?
« Le blogueur se rapproche plus de l’écrivain de voyage et a une approche beaucoup plus subjective quand le journaliste doit être plus objectif » explique le journaliste Julien Vitry.
Si l’arrivée des blogueurs dans le milieu du tourisme n’a pas détrôné les médias traditionnels, elle fait évoluer la presse voyage et les pratiques professionnelles des journalistes.
Marion Dos Santos Clara
Crédit photo de couverture : iStock
indcises.wordpress.com 